Les autistes cherchent leur école
Que deviendront les petits Abdelrezak, Camerone et Alexandre,tous les trois enfants autistes ? Quelle place la société leur réservera-t-elle quand ils auront grandi ? Leurs parents savent que pour qu'ils soient "intégrés socialement", voire "autonomes" - leur voeu le plus cher -, ils doivent au plus tôt être en relation avec "les autres", ces enfants qu'ils disent "standards", "classiques", voire "ordinaires" (en tout cas jamais normaux). Car les autistes doivent "apprendre" à évoluer dans un environnement pour lequel ils n'ont, au départ, pas de curiosité.
Beaucoup de familles, dont l'enfant a la capacité de s'y adapter, se sont donc tournées vers l'école. Un itinéraire souvent semé d'embûches, pour lequel les moyens financiers peuvent faire la différence. Ainsi Mariarosa et Jean-François Bohuon, tous deux ingénieurs, s'apprêtent à embaucher un auxiliaire de vie scolaire (AVS), ces personnes qui accompagnent les handicapés dans les classes. Leur fils Alexandre, 5 ans et demi, va entrer en maternelle dans une école privée, à la rentrée. Ils n'ont pas fait de demande dans un établissement public, car si les AVS non nommés par l'éducation nationale peuvent y être acceptés, c'est souvent "plus compliqué".
Pour donner toutes ses chances de progrès à Alexandre, et "garder la main sur son avenir", ils ont refusé d'être dépendants du système : en recrutant eux-mêmes, ils s'assurent d'avoir quelqu'un pour accompagner leur fils à la rentrée, et la même personne toute l'année. Celle-ci pourra en plus s'en occuper en dehors des quelques heures où il sera scolarisé. Surtout, ses parents pourront choisir une personne qualifiée. "C'est un investissement sur le long terme, car nous voyons bien que la stimulation fonctionne avec lui", glisse Mariarosa.
Alors que, longtemps, on lui a dit, ainsi qu'à son mari, de ne pas s'inquiéter du retard d'Alexandre, leur troisième enfant qui semblait "ne pas vouloir grandir", une fois le diagnostic de sa maladie posé, une prise en charge en hôpital de jour leur a été proposée. Une place était libre, il fallait vite se décider : ils ont refusé. "Nous considérons cette solution comme la dernière, c'est important qu'Alexandre côtoie des enfants ordinaires", dit son père.
Une telle perspective est aussi la hantise de Karima B. (séparée, elle préfère garder l'anonymat), la maman d'Abdelrezak, 5 ans. "Bien sûr qu'il faut se battre. Aucun parent ne souhaite que son enfant passe sa vie en hôpital de jour et en CAT (centre d'aide par le travail), lance-t-elle. Et comme on n'est pas éternels..." Pendant les vacances de Pâques, elle qui habite Orly, dans le Val-de-Marne, est venue chaque jour en RER conduire son petit garçon aux ateliers proposés par une nouvelle association, Sur les bancs de l'école, à Paris.
Abdelrezak est un enfant très agité, qu'elle élève seule. Elle ne peut travailler puisqu'il faut s'occuper de lui entre les divers rendez-vous avec ses thérapeutes, ses sept heures hebdomadaires de prise en charge dans un centre médico-psychologique, et les six heures qu'elle a obtenues à l'école maternelle. Certes, l'auxiliaire qui le suit n'a aucune formation particulière, mais Karima ne se plaint pas : elle a un bon contact avec lui, et il s'intéresse à son fils. Ce qui l'exaspère, c'est qu'ils ont "perdu deux mois", puisque personne n'avait été nommé à la rentrée, et que rien ne dit que le même accompagnateur sera là en septembre. Karima vit du revenu de solidarité active (RSA) et d'une allocation pour son fils. Elle n'a clairement pas de quoi, elle, "payer un AVS privé" à son petit.
Alors elle se débrouille pour profiter de tout ce qui existe pour l'occuper et le stimuler. Comme Jean-François et Mariarosa Bohuon, dans les locaux de Sur les bancs de l'école, elle vient chercher conseils et réconfort. Depuis septembre, l'équipe propose des groupes de parole aux parents et aux fratries, de l'information sur les différents modes de prise en charge, une aide pour constituer les dossiers administratifs. La psychologue, qui suit certains enfants, peut aussi conseiller les auxiliaires de vie scolaire qui le souhaitent - elle-même a été AVS -, et aide parfois les parents au recrutement.
"Si l'accompagnateur ne sait pas gérer la crise du petit qu'il suit, il va au casse-pipe, et l'enfant avec", explique Anne Buisson, la fondatrice de l'association. Elle est mère de quatre enfants, dont trois autistes. Le parcours de son aîné, Baptiste, était "inespéré". A 6 ans, il ne parlait pas. Cinq ans plus tard, il s'apprête à rentrer en 6e. Il a aussi réussi à créer des liens avec ses camarades de classe. Mais il a toujours eu à ses côtés des gens qualifiés, que ses parents, aisés, ont pu financer. C'est pour lutter contre cette inégalité des chances qu'elle a décidé de créer une association. "Nous essayons d'aider les parents les plus démunis", dit-elle simplement. Et plus généralement tous ceux qui, à un moment ou un autre, cherchent un soutien.
"Pour l'autisme, c'est comme pour la médecine en général : il y a deux vitesses", résume Juliette Romanet, maman de Camerone, 5 ans. C'est lorsqu'il est entré à la maternelle, à 3 ans comme tous les enfants, qu'elle a découvert la particularité de son fils. "Après la première matinée, la maîtresse m'a dit : "Ça ne va pas être possible qu'il reste", raconte-t-elle. La directrice m'a expliqué que cela ne s'arrangerait pas sans prise en charge ; moi je tombais des nues." Un choc donc - jusque-là, la famille avait juste noté que Camerone était "un peu en retrait" -, et le début d'un combat.
Camerone vit dans une famille recomposée. L'enfant, très grand pour ses 4 ans et demi, a trois soeurs à la maison, dont une plus petite que lui, mais il a alors focalisé l'attention. "On a vu que quand on y passait du temps, il apprenait", explique sa mère, en congé parental. Le diagnostic d'autisme n'a pas encore été posé, mais elle sait que "le temps joue contre lui".
Cette année, le garçon est de nouveau entré en petite section dans une autre école maternelle, cette fois avec une AVS. Il a "une chance énorme", reconnaît sa maman : depuis quelque temps, la personne qui lui a été affectée par l'académie a déjà travaillé auprès d'un autiste - elle aimerait qu'elle le suive encore l'an prochain, sans garantie. Le premier AVS, lui, était un ancien gardien d'immeuble, sans formation particulière. Certes Camerone était à l'école, mais "en quoi, dans de telles conditions, cela pouvait-il lui être bénéfique ?", interroge Juliette.
Tous ces parents disent la difficulté qu'ils ont à accepter la réalité : la prise en charge des enfants par des personnes en situation précaire, employés à durée déterminée, sans parfois d'intérêt ou de curiosité pour le handicap. Ils disent aussi comme il leur est douloureux de devoir supporter les regards désapprobateurs ou les réflexions sur leurs enfants aux comportements étranges, de gens croisés dans les transports en commun ou les parcs. Des endroits que certains renoncent à fréquenter.
"Si ça continue, je vais faire porter à Camerone un tee-shirt avec "autiste" marqué dessus", lâche Juliette, provocatrice. Les autres parents l'en dissuadent. Elle ne l'aurait de toute façon pas fait : elle se bat pour l'intégration de son enfant. Mais elle revendique son "droit à la différence".
En France, environ un enfant sur 150 serait atteint d'autisme ou de troubles apparentés.
Laetitia Clavreul
Article paru dans l'édition du 05.05.10
Que deviendront les petits Abdelrezak, Camerone et Alexandre,tous les trois enfants autistes ? Quelle place la société leur réservera-t-elle quand ils auront grandi ? Leurs parents savent que pour qu'ils soient "intégrés socialement", voire "autonomes" - leur voeu le plus cher -, ils doivent au plus tôt être en relation avec "les autres", ces enfants qu'ils disent "standards", "classiques", voire "ordinaires" (en tout cas jamais normaux). Car les autistes doivent "apprendre" à évoluer dans un environnement pour lequel ils n'ont, au départ, pas de curiosité.
Beaucoup de familles, dont l'enfant a la capacité de s'y adapter, se sont donc tournées vers l'école. Un itinéraire souvent semé d'embûches, pour lequel les moyens financiers peuvent faire la différence. Ainsi Mariarosa et Jean-François Bohuon, tous deux ingénieurs, s'apprêtent à embaucher un auxiliaire de vie scolaire (AVS), ces personnes qui accompagnent les handicapés dans les classes. Leur fils Alexandre, 5 ans et demi, va entrer en maternelle dans une école privée, à la rentrée. Ils n'ont pas fait de demande dans un établissement public, car si les AVS non nommés par l'éducation nationale peuvent y être acceptés, c'est souvent "plus compliqué".
Pour donner toutes ses chances de progrès à Alexandre, et "garder la main sur son avenir", ils ont refusé d'être dépendants du système : en recrutant eux-mêmes, ils s'assurent d'avoir quelqu'un pour accompagner leur fils à la rentrée, et la même personne toute l'année. Celle-ci pourra en plus s'en occuper en dehors des quelques heures où il sera scolarisé. Surtout, ses parents pourront choisir une personne qualifiée. "C'est un investissement sur le long terme, car nous voyons bien que la stimulation fonctionne avec lui", glisse Mariarosa.
Alors que, longtemps, on lui a dit, ainsi qu'à son mari, de ne pas s'inquiéter du retard d'Alexandre, leur troisième enfant qui semblait "ne pas vouloir grandir", une fois le diagnostic de sa maladie posé, une prise en charge en hôpital de jour leur a été proposée. Une place était libre, il fallait vite se décider : ils ont refusé. "Nous considérons cette solution comme la dernière, c'est important qu'Alexandre côtoie des enfants ordinaires", dit son père.
Une telle perspective est aussi la hantise de Karima B. (séparée, elle préfère garder l'anonymat), la maman d'Abdelrezak, 5 ans. "Bien sûr qu'il faut se battre. Aucun parent ne souhaite que son enfant passe sa vie en hôpital de jour et en CAT (centre d'aide par le travail), lance-t-elle. Et comme on n'est pas éternels..." Pendant les vacances de Pâques, elle qui habite Orly, dans le Val-de-Marne, est venue chaque jour en RER conduire son petit garçon aux ateliers proposés par une nouvelle association, Sur les bancs de l'école, à Paris.
Abdelrezak est un enfant très agité, qu'elle élève seule. Elle ne peut travailler puisqu'il faut s'occuper de lui entre les divers rendez-vous avec ses thérapeutes, ses sept heures hebdomadaires de prise en charge dans un centre médico-psychologique, et les six heures qu'elle a obtenues à l'école maternelle. Certes, l'auxiliaire qui le suit n'a aucune formation particulière, mais Karima ne se plaint pas : elle a un bon contact avec lui, et il s'intéresse à son fils. Ce qui l'exaspère, c'est qu'ils ont "perdu deux mois", puisque personne n'avait été nommé à la rentrée, et que rien ne dit que le même accompagnateur sera là en septembre. Karima vit du revenu de solidarité active (RSA) et d'une allocation pour son fils. Elle n'a clairement pas de quoi, elle, "payer un AVS privé" à son petit.
Alors elle se débrouille pour profiter de tout ce qui existe pour l'occuper et le stimuler. Comme Jean-François et Mariarosa Bohuon, dans les locaux de Sur les bancs de l'école, elle vient chercher conseils et réconfort. Depuis septembre, l'équipe propose des groupes de parole aux parents et aux fratries, de l'information sur les différents modes de prise en charge, une aide pour constituer les dossiers administratifs. La psychologue, qui suit certains enfants, peut aussi conseiller les auxiliaires de vie scolaire qui le souhaitent - elle-même a été AVS -, et aide parfois les parents au recrutement.
"Si l'accompagnateur ne sait pas gérer la crise du petit qu'il suit, il va au casse-pipe, et l'enfant avec", explique Anne Buisson, la fondatrice de l'association. Elle est mère de quatre enfants, dont trois autistes. Le parcours de son aîné, Baptiste, était "inespéré". A 6 ans, il ne parlait pas. Cinq ans plus tard, il s'apprête à rentrer en 6e. Il a aussi réussi à créer des liens avec ses camarades de classe. Mais il a toujours eu à ses côtés des gens qualifiés, que ses parents, aisés, ont pu financer. C'est pour lutter contre cette inégalité des chances qu'elle a décidé de créer une association. "Nous essayons d'aider les parents les plus démunis", dit-elle simplement. Et plus généralement tous ceux qui, à un moment ou un autre, cherchent un soutien.
"Pour l'autisme, c'est comme pour la médecine en général : il y a deux vitesses", résume Juliette Romanet, maman de Camerone, 5 ans. C'est lorsqu'il est entré à la maternelle, à 3 ans comme tous les enfants, qu'elle a découvert la particularité de son fils. "Après la première matinée, la maîtresse m'a dit : "Ça ne va pas être possible qu'il reste", raconte-t-elle. La directrice m'a expliqué que cela ne s'arrangerait pas sans prise en charge ; moi je tombais des nues." Un choc donc - jusque-là, la famille avait juste noté que Camerone était "un peu en retrait" -, et le début d'un combat.
Camerone vit dans une famille recomposée. L'enfant, très grand pour ses 4 ans et demi, a trois soeurs à la maison, dont une plus petite que lui, mais il a alors focalisé l'attention. "On a vu que quand on y passait du temps, il apprenait", explique sa mère, en congé parental. Le diagnostic d'autisme n'a pas encore été posé, mais elle sait que "le temps joue contre lui".
Cette année, le garçon est de nouveau entré en petite section dans une autre école maternelle, cette fois avec une AVS. Il a "une chance énorme", reconnaît sa maman : depuis quelque temps, la personne qui lui a été affectée par l'académie a déjà travaillé auprès d'un autiste - elle aimerait qu'elle le suive encore l'an prochain, sans garantie. Le premier AVS, lui, était un ancien gardien d'immeuble, sans formation particulière. Certes Camerone était à l'école, mais "en quoi, dans de telles conditions, cela pouvait-il lui être bénéfique ?", interroge Juliette.
Tous ces parents disent la difficulté qu'ils ont à accepter la réalité : la prise en charge des enfants par des personnes en situation précaire, employés à durée déterminée, sans parfois d'intérêt ou de curiosité pour le handicap. Ils disent aussi comme il leur est douloureux de devoir supporter les regards désapprobateurs ou les réflexions sur leurs enfants aux comportements étranges, de gens croisés dans les transports en commun ou les parcs. Des endroits que certains renoncent à fréquenter.
"Si ça continue, je vais faire porter à Camerone un tee-shirt avec "autiste" marqué dessus", lâche Juliette, provocatrice. Les autres parents l'en dissuadent. Elle ne l'aurait de toute façon pas fait : elle se bat pour l'intégration de son enfant. Mais elle revendique son "droit à la différence".
En France, environ un enfant sur 150 serait atteint d'autisme ou de troubles apparentés.
Laetitia Clavreul
Article paru dans l'édition du 05.05.10
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